40. Extrait de l'arrêt de la Cour de droit pénal dans la cause X. contre Ministère public central du canton de Vaud (recours en matière pénale) | |
6B_209/2018 du 23 novembre 2018 | |
Regeste | |
Art. 66a Abs. 2 StGB; Landesverweisung, Härtefallklausel, Berücksichtigung der besonderen Situation von Ausländern, die in der Schweiz geboren oder aufgewachsen sind.
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Sachverhalt | |
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B. Par jugement du 30 novembre 2017, la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud a rejeté l'appel de X. et ordonné son maintien en détention à titre de sûreté.
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En substance, la cour cantonale a retenu les faits suivants.
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B.a Ressortissant espagnol, X. est né en 1985 en Suisse, où il a toujours vécu. Il est au bénéfice d'un permis d'établissement. Célibataire, il habite au domicile de sa mère. Dépourvu de formation professionnelle reconnue, il a travaillé occasionnellement comme vendeur auprès de différents commerces. Sans emploi depuis août 2016, il a perçu, à compter de janvier 2017, des prestations de l'assurance-chômage ![]() ![]() | |
X. est père de deux enfants, nés en août 2010 et juin 2013, qu'il a reconnus. Il vit séparé de la mère de ses enfants. Il n'est toutefois pas le père biologique de la cadette, ce qu'il a appris en octobre 2016. Avant son incarcération, il voyait ses enfants très régulièrement. Il s'occupait de la cadette une bonne partie de la semaine, parfois même pendant quinze jours de suite, et voyait son aîné durant les fins de semaine. Il est astreint à contribuer à l'entretien de ses enfants à hauteur de 300 fr. ou 400 fr. par mois et par enfant. Il a cessé de verser la contribution d'entretien due pour sa fille depuis qu'il a appris qu'il n'était pas son père biologique et a l'intention d'ouvrir action en désaveu pour ne plus payer de pension. Il relève toutefois que, si elle se retrouvait dans le besoin, il l'aiderait financièrement.
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Il envisage, une fois libéré, de chercher un emploi dans son domaine de compétence et espère, par ailleurs, obtenir un poste d'assistant socio-éducatif stagiaire auprès de la A. Il souhaite en effet suivre une formation de socio-éducateur en cours d'emploi. Il prévoit également de reprendre le suivi psychothérapeutique qu'il avait entamé au printemps 2016. Actuellement détenu, il a demandé et obtenu un soutien psychothérapeutique ainsi que médicamenteux sous forme d'antidépresseurs et de somnifères.
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B.b Le casier judiciaire suisse de X. fait état de quatre condamnations, la première, le 10 décembre 2012, à une peine pécuniaire de 150 jours-amende à 30 fr., avec sursis pendant trois ans et une amende de 900 fr. pour dommages à la propriété et violence ou menace contre les autorités et les fonctionnaires, la deuxième, le 4 juin 2013, à une peine pécuniaire de 40 jours-amende à 30 fr. le jour pour délit à la LArm, la troisième, le 6 mai 2014, à une peine pécuniaire de 35 jours-amende à 30 fr. le jour et amende de 100 fr. pour mise d'un véhicule automobile à la disposition d'un conducteur sans permis et contravention à l'ordonnance du 27 octobre 1976 réglant l'admission des personnes et des véhicules à la circulation routière, et la dernière, le 9 novembre 2016, à une peine pécuniaire de 50 jours-amende pour menaces.
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Durant sa détention, X. a fait l'objet de trois mesures disciplinaires, la première, le 28 mars 2017, pour avoir, à dessein, bloqué du pied la ![]() ![]() | |
B.c A B., le 22 février 2017, vers 22h45, X. conduisait un véhicule en compagnie de son cousin C., déféré séparément. Ce dernier souhaitait contacter par téléphone son amie intime, de sorte qu'il s'est mis en quête d'un téléphone portable avec l'aide de son cousin. Les acolytes ont repéré, sur le trottoir gauche de l'avenue D. selon leur sens de marche, une jeune femme seule, E., occupée à téléphoner. Ils ont alors bifurqué à droite sur le chemin F., à l'entrée duquel X. s'est immédiatement arrêté. C. est descendu du véhicule muni d'un casque de motard qu'il tenait à la main avant de le mettre sur sa tête une fois sorti de l'habitacle. Le visage ainsi couvert, il a traversé l'avenue D. et s'est dirigé prestement vers E. Parvenu à sa hauteur, il a brandi un "cutter" sorti de la poche latérale de son bleu de travail et a ordonné à plusieurs reprises à sa victime de lui remettre son téléphone portable. Puis, il s'est emparé de force de son sac à main, persuadé que le téléphone portable de la victime s'y trouvait. Une fois le sac en sa possession, il est revenu sur ses pas en courant pour rejoindre X. qui l'attendait. Celui-ci, dans l'intervalle, avait fait demi-tour, prêt à repartir le plus vite possible. Sitôt réunis dans la voiture, les deux comparses ont pris rapidement la direction de G. Sur le trajet, ils ont fouillé le sac qu'ils venaient de dérober, sans toutefois y trouver le téléphone convoité.
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Aux alentours de 23h30, alors que X. et C. circulaient à G., sur l'avenue H. en direction de I., toujours à la recherche d'un téléphone portable, ils ont repéré une autre jeune femme, J., assise seule sur le banc d'un abribus, tenant un téléphone portable à la main. X. a arrêté son véhicule pour permettre à C. d'en descendre immédiatement, puis il a bifurqué à droite sur l'avenue K. pour attendre le retour de son cousin à l'abri des regards, en particulier de celui de la future victime. C., coiffé de son casque de motard, a traversé l'avenue H. et s'est précipité vers la jeune femme. Il lui a saisi le poignet et l'a poussée en arrière au niveau du cou, de sorte que la ![]() ![]() | |
Au moment de son interpellation le 23 février 2017 vers 01h30, X. détenait un poing américain dans l'habitacle de sa voiture.
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Par ailleurs, entre le mois d'octobre 2016 et le 23 février 2017, X. a consommé occasionnellement du cannabis et de la cocaïne, ainsi que du LSD à une reprise.
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C. X. forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre le jugement du 30 novembre 2017, en concluant, avec suite de frais, principalement à sa réforme en ce sens qu'il est libéré du chef de prévention de brigandage et condamné à une peine, respectivement à une amende à dire de justice. Il conclut en outre à ce qu'il soit constaté qu'il a subi 365 jours de détention illicite, dont 20 jours de détention dans des conditions illicites, et qu'il soit ordonné le versement d'une équitable indemnité pour tort moral d'un montant de 91'250 fr. (365 x 250) en sa faveur. Subsidiairement, il conclut à l'annulation du jugement entrepris et au renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision. Il sollicite par ailleurs le bénéfice de l'assistance judiciaire ainsi que l'octroi de l'effet suspensif.
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D. Par ordonnance du 20 février 2018, le Président de la Cour de droit pénal du Tribunal fédéral a déclaré la requête d'effet suspensif sans objet, le recours étant de plein droit suspensif sur la question de l'expulsion.
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E. Invités à se déterminer sur le recours, la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal s'est référée aux considérants de son jugement, tandis que le Ministère public n'a pas présenté d'observations dans le délai imparti.
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3.1.2 Cependant, considérant que le projet du Conseil fédéral constituait une sorte de variante de la contre-proposition à l'"Initiative sur le renvoi", rejetée lors du vote populaire du 28 novembre 2010 (FF 2011 2593), la Commission des institutions politiques du Conseil national (CIP-CN) a formulé une proposition alternative, suivant essentiellement le texte de l'initiative populaire fédérale "Pour le renvoi effectif des étrangers criminels" ("initiative de mise en oeuvre") (rapporteurs Gerhard Pfister et Isabelle Moret, BO 2014 CN ![]() ![]() | |
3.1.3 Ainsi, l'art. 66a CP prévoit l'expulsion "obligatoire" de l'étranger condamné pour l'une des infractions ou combinaison d'infractions ![]() ![]() | |
Le fait que la clause de rigueur soit une norme potestative ne signifie pas que le juge pénal peut librement décider d'appliquer ou non l'exception de l'art. 66a al. 2 CP (BUSSLINGER/UEBERSAX, Härtefallklausel und Migrationsrecht der Landesverweisung, Plädoyer 2016 5 p. 102; ADRIAN BERGER, Umsetzungsgesetzgebung zur Ausschaffungsinitiative, Jusletter 7 août 2017 p. 20; NICCOLÒ RASELLI, Obligatorische Landesverweisung und Härtefallklausel im Ausführungsgesetz zur Ausschaffungsinitiative, in Sicherheit & Recht 3/2017 p. 148; FANNY DE WECK, in Migrationsrecht, Kommentar, 4e éd. 2015, n° 23 ad art. 66a CP p. 723 s.; dans ce sens également: FIOLKA/VETTERLI, Die Landesverweisung in Art. 66a ff. StGB als strafrechtliche Sanktion, Plädoyer 2016 5 p. 86). Le juge doit faire usage du pouvoir d'appréciation qui lui est conféré par une norme potestative dans le respect des principes constitutionnels. S'il devait refuser de renoncer à l'expulsion alors que les conditions de la clause de rigueur sont satisfaites, le principe de proportionnalité ancré à l'art. 5 al. 2 Cst. serait violé (en ce sens: BUSSLINGER/UEBERSAX, op. cit., p. 102; BERGER, op. cit., p. 20; DE WECK, op. cit., n° 23 ad art. 66a CP p. 723 s.; voir aussi: ATF 139 I 16 consid. 4.2 et 5 en relation avec l'interprétation des al. 3-6 de l'art. 121 Cst.).
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3.3.2 Pour définir le cas de rigueur, la doctrine préconise généralement de s'inspirer des critères énoncés à l'art. 31 de l'ordonnance du 24 octobre 2007 relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative (OASA; RS 142.201; BENJAMIN F. BRÄGGER, Auswirkungen der neuen strafrechtlichen Landesverweisung auf den Sanktionenvollzug, Schweizerische Zeitschrift für Kriminologie [SZK] 1/2017 p. 88; BUSSLINGER/UEBERSAX, op. cit., p. 197 et 100 s.; BERGER, op. cit., p. 26; POPESCU/WEISSENBERGER, Expulsion pénale et droit des migrations: un casse-tête pour la pratique, PJA 2018 p. 362; CAMILLE PERRIER DEPEURSINGE, L'expulsion selon les art. 66a à 66d du Code pénal suisse, RPS 135/2017 p. 403 s.; BRUN/FABBRI, Die Landesverweisung - neue Aufgaben und Herausforderungen für die Strafjustiz, recht 35/2017 p. 245; FIOLKA/VETTERLI, op. cit., p. 86 s.; NIKLAUS RUCKSTUHL, Verfahrensfragen bei der strafrechtlichen Landesverweisung und der migrationsrechtlichen Aufenhaltsbeendigung, Plädoyer 2016 5 p. 116 ss.; voir également les arrêts 6B_371/2018 précité consid. 2.4 et 6B_506/2017 précité consid. 1.1). Cette disposition prévoit, en application des art. 30 al. 1 let. b et 50 al. 1 let. b LEtr (RS 142.20), qu'une autorisation de séjour peut être ![]() ![]() | |
En recourant à la notion de cas de rigueur dans le cadre de l'art. 66a al. 2 CP, le législateur a fait usage d'un concept ancré depuis longtemps dans le droit des étrangers (cf. art. 30 al. 1 let. b, art. 50 al. 1 let. b et art. 84 let. 5 LEtr; art. 14 LAsi [RS 142.31]; pour l'ancien droit, cf. art. 13 let. f OLE [RO 1986 1791]). Compte tenu également du lien étroit entre l'expulsion pénale et les mesures de droit des étrangers (cf. en particulier: art. 5 al. 1 let. d, art. 59 al. 3, art. 61 al. 1 let. e, art. 76 al. 1 et art. 83 let. 9 LEtr), il est justifié de s'inspirer, de manière générale, des critères prévus par l'art. 31 al. 1 OASA et de la jurisprudence y relative dans le cadre de l'application de l'art. 66a al. 2 CP. Comme la liste de l'art. 31 al. 1 OASA n'est pas exhaustive (cf. BUSSLINGER/UEBERSAX, op. cit., p. 100) et que l'expulsion relève du droit pénal, le juge devra également, dans l'examen du cas de rigueur, tenir compte des perspectives de réinsertion sociale du condamné (cf. arrêt 6B_371/2018 précité consid. 2.5 et les références citées).
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La jurisprudence rendue en droit des étrangers retient que la révocation de l'autorisation d'établissement d'un étranger qui séjourne depuis longtemps en Suisse doit se faire avec une retenue particulière, mais n'est pas exclue en cas d'infractions graves ou répétées, même en présence d'un étranger né en Suisse et qui y a passé l'entier de sa vie. On tiendra alors particulièrement compte de l'intensité des liens de l'étranger avec la Suisse et des difficultés de réintégration dans son pays d'origine (ATF 139 I 145 consid. 2.4 p. 149, ![]() ![]() | |
Les critères développés en lien avec la révocation de l'autorisation d'établissement d'un étranger issu de la deuxième génération qui a commis des infractions sont pertinents pour interpréter l'art. 66a al. 2, deuxième phrase, CP en tant qu'ils concrétisent les exigences du principe de proportionnalité (art. 5 al. 2 Cst.). Il convient toutefois de garder à l'esprit que l'adoption de l'art. 121 al. 3-6 Cst. puis des art. 66a ss CP visait à renforcer le régime existant dans ce domaine (arrêt 6B_371/2018 précité consid. 2.5; intervention de la Présidente Simonetta Sommaruga, BO 2015 CN 255). En toute hypothèse, l'étranger qui est né ou a grandi en Suisse dispose d'un intérêt privé important à rester en Suisse, dont il y a lieu de tenir compte dans le cadre de la pesée des intérêts (cf. BUSSLINGER/UEBERSAX, op. cit., p. 5; BERGER, op. cit., p. 28; RASELLI, op. cit., p. 148 s. et 151).
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Erwägung 3.4 | |
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Ainsi, sous l'angle de sa situation professionnelle et financière, l'intégration du recourant en Suisse n'est certes pas exemplaire, sans pour autant que celui-ci ne soit marginalisé. Force est de constater qu'en tant qu'étranger de seconde génération dont tant les ascendants que les descendants vivent en Suisse, ses liens avec ce pays sont d'une intensité telle que son renvoi vers l'Espagne le placerait ainsi dans une situation personnelle grave, de sorte que la première condition cumulative de l'art. 66a al. 2 CP est remplie. Il reste à déterminer si son intérêt privé à rester en Suisse l'emporte sur les intérêts présidant à son expulsion.
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La cour cantonale a par ailleurs considéré que l'absence de scrupules manifestée par le recourant lors de la commission des brigandages, les comportements agressifs qu'il avait adoptés en prison et ![]() ![]() | |
En ce qui concerne l'intérêt personnel du recourant à demeurer en Suisse, les éléments à prendre en compte se recoupent dans une large mesure avec ceux qui ont conduit à retenir une situation personnelle grave en cas d'expulsion. Le recourant peut en particulier se prévaloir d'être né en Suisse et d'y avoir toujours vécu. Ses liens familiaux en Suisse, en particulier sa mère qui lui apporte une aide financière et matérielle, ainsi que la présence de ses jeunes enfants, plaident en faveur de la poursuite du séjour en Suisse. L'expulsion du recourant serait également difficile pour son entourage proche, surtout ses enfants avec qui il entretient des contacts réguliers. Ces éléments sont d'autant plus importants qu'à l'inverse, il ne dispose en Espagne d'aucun proche qui pourrait l'aider à s'installer lors de son arrivée et ainsi faciliter son intégration. Enfin, il doit être retenu que le recourant a toujours travaillé et subvenu à ses besoins, sous réserve de la période depuis la perte de son emploi en août 2016 jusqu'à son incarcération le 23 février 2017 (consid. 3.2.1 supra), de sorte que ses perspectives de réinsertion en Suisse à l'issue de l'exécution de sa peine sont réelles.
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Considérant l'ensemble des éléments discutés ci-dessus, l'intérêt public à son expulsion ne l'emporte pas, en l'espèce, sur son intérêt privé à demeurer en Suisse. Il se justifie par conséquent d'admettre le recours sur ce point.
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