46. Extrait de l'arrêt de la Cour de droit pénal dans la cause X. contre Ministère public du canton du Valais et Y. (recours en matière pénale) | |
6B_143/2011 du 16 septembre 2011 | |
Regeste | |
Art. 173 StGB; Art. 16 Abs. 2 BV, Art. 10 EMRK; üble Nachrede; Zulassung zum Wahrheitsbeweis; Meinungsäusserungsfreiheit.
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Grenzen der Meinungsäusserungsfreiheit in der politischen Diskussion (E. 2.1.4 und 3).
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Sachverhalt | |
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Par jugement du 15 octobre 2009, le Juge des districts de Martigny et Saint-Maurice a condamné X. pour diffamation à 120 heures de travail d'intérêt général, avec sursis et délai d'épreuve de deux ans. Il a pour le surplus réservé les droits civils de Y., statué sur les frais et ordonné la publication du dispositif du jugement assorti d'un bref commentaire préliminaire.
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B. Par jugement du 7 décembre 2010, la Cour pénale I du Tribunal cantonal valaisan a rejeté l'appel de X. et confirmé la sentence prononcée, le commentaire préliminaire destiné à la publication étant légèrement modifié.
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C. X. forme un recours en matière pénale, concluant notamment à son acquittement.
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Par ordonnance du 22 mars 2011, le Président de la cour de céans a admis la requête d'effet suspensif.
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Il n'a pas été ordonné d'échange d'écritures. ![]() | |
Est attentatoire à l'honneur le fait d'assimiler une personne à un parti politique que l'histoire a rendu méprisable ou de suggérer qu'elle a de la sympathie pour le régime nazi (cf. ATF 121 IV 76 consid. 2a/bb p. 82; également arrêts 6B_737/2010 du 1er février 2011; 6S.504/2005 du 28 février 2006 consid. 2.1; 6S.295/2000 du 1er novembre 2000 consid. 4a; 6S.287/1998 du 3 juin 1998 consid. 2b).
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2.1.3 Pour apprécier si une déclaration est attentatoire à l'honneur, il faut se fonder non pas sur le sens que lui donne la personne visée, mais sur une interprétation objective selon la signification qu'un destinataire non prévenu doit, dans les circonstances d'espèce, lui ![]() ![]() | |
Selon la jurisprudence, un texte doit être analysé non seulement en fonction des expressions utilisées, prises séparément, mais aussi selon le sens général qui se dégage du texte dans son ensemble. Ce qui précède ne signifie cependant pas qu'il faille faire abstraction de l'impact particulier d'un titre ou d'un intertitre. Rédigés en plus gros caractères et en gras, ceux-ci frappent spécialement l'attention du lecteur. Très généralement, ils sont en outre censés résumer très brièvement l'essentiel du contenu de l'article. De plus, il n'est pas rare que des lecteurs, parce qu'ils n'en prennent pas la peine ou parce qu'ils n'en ont pas le temps, ne lisent que les titre et intertitre, par lesquels ils peuvent être induits en erreur si leur contenu ne correspond pas à celui de l'article (arrêt 6S.862/2000 du 20 mars 2001 consid. 1a). Aussi la jurisprudence a-t-elle admis le caractère diffamatoire d'un intertitre faisant état d'une escroquerie à l'assurance, quand bien même il ressortait de l'article qu'aucune condamnation de ce chef n'avait encore été prononcée (ATF 116 IV 31 consid. 5b p. 42). A également été jugé diffamatoire un article de presse dont le titre et l'intertitre affirmaient qu'un enfant de moins de 7 ans avait tué sa petite soeur, alors qu'il était ensuite expliqué dans l'article proprement dit qu'il ne s'agissait là que de l'hypothèse la plus vraisemblable émise par le juge d'instruction (arrêt 6S.368/2000 du 4 décembre 2000 consid. 2b).
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Déterminer le contenu d'un message relève des constatations de fait. Le sens qu'un destinataire non prévenu confère aux expressions et images utilisées constitue en revanche une question de droit (ATF 133 IV 308 consid. 8.5.1 p. 312; ATF 131 IV 23 consid. 2.1 p. 26).
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2.1.4 Dans la discussion politique, l'atteinte à l'honneur punissable ne doit être admise qu'avec retenue et, en cas de doute, niée. La liberté d'expression indispensable à la démocratie implique que les acteurs de la lutte politique acceptent de s'exposer à une critique publique, parfois même violente, de leurs opinions. Il ne suffit ainsi pas d'abaisser une personne dans les qualités politiques qu'elle croit avoir. La critique ou l'attaque porte en revanche atteinte à l'honneur protégé par le droit pénal si, sur le fond ou dans la forme, elle ne se ![]() ![]() | |
S'agissant des circonstances entourant la parution de cet article, l'autorité précédente a constaté qu'il avait été diffusé durant la campagne électorale pour le conseil national en 2007, dans le cadre de laquelle l'intimé était candidat valaisan sur la liste du parti Z. Y., professeur d'allemand, a fondé la section du parti Z. Valais en 1999, section qu'il préside encore. L'hebdomadaire dans lequel a paru l'article litigieux est l'organe de presse du parti G. valaisan. Il est édité par la société C. SA, dont le recourant était au moment des faits président du conseil d'administration. Ce journal est publié à plusieurs milliers d'exemplaires. L'article litigieux était également consultable sur le site internet du journal "B." durant une semaine ensuite de sa parution papier.
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Placer le portrait de l'intimé, candidat du parti Z. au conseil national et de père autrichien, à côté de ce portrait d'Hitler, également d'origine autrichienne, en accompagnant ces photos du sous-titre "Autrichiens: on a déjà donné !", procède d'un amalgame et jette clairement le soupçon que l'intimé sympathise avec l'idéologie nazie.
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Le photomontage, tel qu'il a été réalisé par le recourant, ne comporte aucun élément permettant de limiter l'assimilation de l'intimé à Hitler aux seules méthodes démocratiques de campagne utilisées par les nationaux-socialistes, qui plus est "au début des années 30". Quant au titre de l'article, "Comme un parfum des années 1930", il se réfère expressément à toute la décennie, soit une période déjà meurtrière, si l'on pense notamment à l'ouverture en 1934 du premier camp de concentration ou la Nuit des longs couteaux, le 30 juin 1934, au cours de laquelle Hitler a fait assassiner une centaine de personnes.
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Au vu du montage choisi par le recourant, le texte de l'article apparaît clairement secondaire. Cela étant, ce texte, s'il n'explicite certes pas le soupçon que l'intimé sympathise avec les idées criminelles d'Hitler et veuille suivre ses traces, renforce par son contenu l'assimilation faite par le photomontage entre les deux hommes. Ainsi, il compare les méthodes utilisées par les nationaux-socialistes menées par Hitler "pour faire peur, alerter la population" à celles du parti Z. valaisan dirigé par l'intimé, déclarant en particulier qu'il s'agirait là de "réchauffé absolu". La comparaison entre l'élection démocratique d'Hitler et celle recherchée par l'intimé renforce encore ce rapprochement entre les deux hommes.
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Un tel soupçon, même jeté en pleine campagne électorale, dépasse clairement les limites pourtant larges posées à la liberté d'expression et lèse l'honneur de l'intimé, non pas seulement en tant que politicien, mais en tant qu'homme. La diffusion par le recourant de ![]() ![]() | |
Le recourant ne s'est pas borné à émettre un jugement de valeur ni à critiquer l'activité professionnelle de l'intimé. Il a suggéré que ce dernier avait, pour le moins, des sympathies pour l'idéologie nazie. Le soupçon litigieux constitue donc non pas un jugement de valeur, mais une allégation de fait susceptible de tomber sous le coup de l'art. 173 CP.
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Au vu de ces faits, dont le caractère arbitraire n'a pas été démontré, les autorités cantonales auraient pu envisager la qualification de calomnie (art. 174 CP). Toutefois, compte tenu de l'interdiction de la reformatio in pejus, il n'y a plus lieu d'envisager cette qualification juridique. Il faut s'en tenir à la diffamation.
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Aux termes de l'art. 173 ch. 3 CP, l'inculpé ne sera pas admis à apporter ces preuves et sera punissable si ses allégations ont été articulées ou propagées sans égard à l'intérêt public ou sans autre motif suffisant, principalement dans le dessein de dire du mal d'autrui, notamment lorsqu'elles ont trait à la vie privée ou à la vie de famille.
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Le juge examine d'office si ces conditions sont remplies (CORBOZ, op. cit., n° 54 ad art. 173 CP). C'est toutefois à l'auteur du comportement attentatoire à l'honneur de décider s'il veut apporter des preuves libératoires (TRECHSEL/LIEBER, in Schweizerisches Strafgesetzbuch, Praxiskommentar, 2008, n° 27 ad art. 173 CP). Il s'agit en effet d'une possibilité offerte à l'accusé (CORBOZ, op. cit., n° 51 ad art. 173 CP; RIKLIN, op. cit., n° 10 ad art. 173 CP).
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Le recourant n'a jamais offert d'apporter de preuve sur ce point. En vertu de l'art. 58 al. 1 du Code de procédure pénale du canton du Valais du 22 février 1962 (CPP/VS), en vigueur jusqu'au 31 décembre 2010, lorsque le juge d'instruction estime l'enquête suffisante, il rend ![]() ![]() | |
Le recourant, dès le début de l'enquête, a nié que son article ait pu être compris comme assimilant l'action politique d'Hitler à celle de l'intimé. Devant l'autorité de première instance, il a soutenu qu'il n'avait pas souhaité une telle assimilation, qualifiant l'intimé d'homme honorable. Dans le cadre de son appel, il a à nouveau réfuté que son article puisse être interprété dans ce sens. Enfin, dans son recours en matière pénale, il a réaffirmé que "jamais, ni l'article ni le photomontage ne disent ni ne laissent entendre qu'il y aurait entre l'intimé et Adolf Hitler sympathie ou parenté d'idées ni, sous réserve du type de méthodes de campagne dénoncées, parenté d'autres méthodes, notamment criminelles, dont a usé le national-socialisme".
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Il résulte de ce qui précède que le recourant n'a jamais offert ni manifesté la volonté durant la procédure cantonale que des preuves libératoires relatives au soupçon litigieux soient administrées. Au contraire, il a expressément contesté l'exactitude d'un tel soupçon. Dans ces conditions, les autorités cantonales, en n'administrant pas de preuves libératoires au sens de l'art. 173 ch. 2 CP, n'ont pas violé cette disposition, ni l'art. 173 ch. 3 CP.
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En l'occurrence, l'autorité cantonale a retenu que le recourant poursuivait le double but de choquer le parti Z., en faisant prendre ![]() ![]() | |
Le recourant a ainsi agi notamment afin de dire du mal d'autrui. De plus, il ne dénonçait pas un comportement qu'il tenait pour avéré. Au contraire, il a diffusé un soupçon qu'il savait faux. Il ne s'agissait ainsi pas pour le recourant d'informer le public, mais de faire ressentir à une personne et à son parti, ce que provoquait une attaque à l'honneur, ce par le biais d'une telle attaque. Il résulte de ce qui précède que les conditions prévues par l'art. 173 ch. 3 CP pour le droit à la preuve ne sont pas réunies.
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3.3.1 La liberté d'expression, à l'instar des autres droits fondamentaux, n'a donc pas une valeur absolue. Une ingérence dans son exercice est conforme à l'art. 10 CEDH si elle est prévue par la loi, si elle poursuit un but légitime de protection de l'intérêt public, notamment de la réputation et des droits d'autrui, et si elle est proportionnée au but légitime poursuivi (arrêts de la CourEDH RTBF contre Belgique du 29 mars 2011 § 95; Bergens Tidende et autres contre Norvège du 2 mai 2000 § 33 et 48 ss). Ces critères correspondent à ceux ![]() ![]() | |
L'auteur d'un article, à l'instar de tout créateur, n'échappe toutefois pas aux possibilités de limitation que ménage l'art. 10 par. 2 CEDH: quiconque se prévaut de la liberté d'expression assume, selon les termes de ce paragraphe, des "devoirs et responsabilités" (cf. arrêt Lindon, Otchakovsky-Laurens et July § 51). En raison de ces "devoirs et responsabilités", la garantie que l'art. 10 CEDH offre aux journalistes en ce qui concerne les comptes rendus sur des questions d'intérêt général est subordonnée à la condition que les intéressés agissent de bonne foi de manière à fournir des informations exactes et dignes de crédit dans le respect de la déontologie journalistique (parmi beaucoup d'autres, arrêts de la CourEDH Brunet Lecomte et Lyon Mag contre France du 6 mai 2010 § 41; Stoll contre Suisse du 10 décembre 2007 § 103 et 104; Lindon, Otchakovsky-Laurens et July § 67; Cumpana et Mazare contre Roumanie du 17 décembre 2004 § 102). L'auteur doit donc s'être conformé à l'obligation ordinaire incombant aux journalistes de vérifier une déclaration factuelle. Cette obligation signifie qu'il doit s'appuyer sur une base factuelle ![]() ![]() | |
3.4 Le recourant se réfère à l'arrêt de la CourEDH Roland Dumas contre France du 15 juillet 2010, dans lequel une violation de l'art. 10 CEDH a été admise. Cet arrêt repose notamment sur les faits suivants, différents de la présente cause: durant une audience judiciaire, le requérant, alors accusé, avait déclaré au procureur "vous auriez pu siéger dans les sections spéciales". Le requérant avait ensuite présenté ses excuses au procureur. Cette déclaration n'avait donné lieu à aucune réaction ni plainte de ce dernier. Le requérant, lorsqu'il l'avait réitérée deux ans plus tard dans un ouvrage, l'avait replacée dans un contexte de révolte et avait pris ses distances avec ses "propres outrances". La Cour européenne a également reconnu la légitimité pour le requérant de rédiger un livre relatant la complexité de l'affaire dans ![]() ![]() | |
Le recourant se contente de citer des passages choisis de cet arrêt et d'invoquer que ceux-ci sont "transposables, mutatis mutandis, à l'examen de la présente cause". Il n'explicite pas en quoi cet arrêt lui serait applicable malgré les circonstances d'espèce clairement différentes. Sa motivation ne répond pas aux exigences posées par l'art. 106 al. 2 LTF, si bien que le moyen est irrecevable.
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Au demeurant, la restriction apportée à la liberté d'expression du recourant repose sur une base légale suffisante et poursuit un but légitime de protection de la réputation et des droits d'autrui (cf. arrêt 6S.295/2000 du 1er novembre 2000 consid. 6c). Elle demeure en outre proportionnée. Même dans un débat politique, il ne peut en effet être admis de comparer un adversaire politique au plus grand ![]() ![]() ![]() |