18. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit civil dans la cause Fédération A. contre B. (anciennement D.) (recours en matière civile) | |
4A_492/2021 du 24 août 2022 | |
Regeste | |
Internationale Schiedsgerichtsbarkeit; internationale Investitionsstreitigkeiten; vorläufige Anwendung eines völkerrechtlichen Vertrags; Zuständigkeit des Schiedsgerichts (Art. 26 und Art. 45 des Vertrags vom 17. Dezember 1994 über die Energiecharta [VEC]; Art. 25 und Art. 31 f. des Wiener Übereinkommens vom 23. Mai 1969 über das Recht der Verträge [VRK]; Art. 190 Abs. 2 lit. b IPRG).
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Sachverhalt | |
A.a Le 17 décembre 1994, la Fédération A. a signé le Traité du 17 décembre 1994 sur la Charte de l'énergie (RS 0.730.0; ci-après: TCE).
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Selon l'art. 45 par. 1 TCE, ledit traité était applicable à titre provisoire dès sa signature, dans certaines limites, jusqu'à son entrée en vigueur.
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En août 1996, le Gouvernement (...) a soumis le TCE à la Chambre basse du parlement national en vue de sa ratification, laquelle a été refusée.
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Le 20 août 2009, la Fédération A. a informé le dépositaire du TCE de son intention de ne pas devenir partie contractante au traité en question.
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A.b Dans les années 1990, E., l'une des plus importantes compagnies pétrolières de (...), a été privatisée.
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A.c C. est une holding (...) détenant des participations dans de nombreuses sociétés sises en (...) et dans diverses sociétés offshore.
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A.d D., entité de droit luxembourgeois, a été constituée le 31 janvier 2003 en tant que société de financement visant à servir les intérêts du groupe E. Lors de sa création, D. était détenue par la société néerlandaise F., laquelle était contrôlée par C.
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Le 4 août 2016, D. a fusionné avec I., société sise aux Iles Vierges britanniques. Le 1er septembre 2016, la société reprenante I. a modifié sa raison sociale en B.
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A.e Le 2 décembre 2003 et le 19 août 2004, D. a conclu deux contrats de prêt avec C. en vertu desquels elle s'est engagée à lui prêter des sommes pouvant atteindre 80 milliards de (...) et 355 millions de dollars américains (USD).
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Les montants versés à C. ont été financés au moyen de deux prêts, non garantis, qui ont été accordés à D. les 20 novembre 2003 et 18 août 2004 par deux sociétés du groupe E., à savoir J. et K., entités ayant leur siège respectivement aux Iles Vierges britanniques et à Chypre. Selon les termes convenus par les parties, D. ne devait ![]() ![]() | |
(...)
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A.g Entre octobre 2002 et décembre 2005, les autorités fiscales (...) ont effectué plusieurs audits visant C. Sur la base de leurs décisions de taxation couvrant les exercices fiscaux 2000 à 2004, elles ont retenu que C. avait commis diverses infractions fiscales et que celle-ci était débitrice d'un montant avoisinant (...) (soit approximativement 24 milliards USD).
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Dans le courant de l'année 2004, les autorités (...) ont entrepris des démarches tendant à l'exécution forcée des décisions de taxation précitées. Elles ont notamment gelé les avoirs détenus par C. auprès de divers établissements bancaires et ont saisi ses participations dans plusieurs sociétés.
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A.h Le 4 août 2006, la faillite de C. a été prononcée.
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D. a vainement tenté, à plusieurs reprises, de faire valoir, dans le cadre de la faillite, ses prétentions découlant des prêts qu'elle avait accordés à la faillie. La liquidation de la faillite de C. a pris fin le 15 novembre 2007 et la faillie a été radiée du registre du commerce (...) le 21 novembre 2007.
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B. Le 15 février 2013, D., se fondant sur l'art. 26 par. 4 point b) TCE, a introduit une procédure d'arbitrage contre la Fédération A. en vue d'obtenir le paiement d'un peu plus de 13 milliards de dollars USD à titre de dommages-intérêts dérivant d'une prétendue expropriation illégale des investissements effectués par elle en (...). La demanderesse faisait valoir, en substance, que les prêts consentis à C. représentaient des investissements protégés par le TCE et que la Fédération A. l'avait expropriée en provoquant illégalement la faillite de C.
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Un Tribunal arbitral de trois membres a été constitué, conformément au Règlement d'arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI), sous l'égide de la Cour permanente d'arbitrage (CPA), et son siège fixé à Genève.
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Par lettre du 11 avril 2014, la Fédération A. a soulevé l'exception d'incompétence, qu'elle a fondée sur cinq motifs alternatifs, parmi lesquels figurait l'objection suivante:
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- la Fédération A. n'a jamais ratifié le TCE, qu'elle n'a appliqué à titre provisoire, conformément à l'art. 45 par. 1 TCE, jusqu'en 2009 que dans la mesure où cette application provisoire n'était pas incompatible avec sa Constitution ou ses lois et règlements. ![]() | |
Le Tribunal arbitral a rendu, le 18 janvier 2017, une sentence incidente sur compétence par laquelle il a notamment rejeté l'objection d'incompétence susmentionnée.
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Par arrêt du 20 juillet 2017, le Tribunal fédéral a déclaré irrecevable le recours interjeté par la Fédération A. à l'encontre de la sentence incidente sur compétence (arrêt 4A_98/2017 partiellement publié in ATF 143 III 462). En bref, il a considéré que la formation arbitrale, dans la sentence incidente entreprise, avait certes écarté de manière définitive trois des cinq motifs alternatifs avancés par la défenderesse à l'appui de son exception d'incompétence mais ne s'était, toutefois, pas prononcée sur les deux autres, qu'elle avait décidé de traiter avec la cause au fond. Le Tribunal arbitral n'avait dès lors pas statué définitivement sur sa compétence, raison pour laquelle le recours était irrecevable (ATF 143 III 462 consid. 3.3).
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A la suite du prononcé de cet arrêt, le Tribunal arbitral a poursuivi l'instruction de la cause. Statuant le 23 juillet 2021, il a rendu sa sentence finale par laquelle il a partiellement fait droit aux prétentions élevées par la demanderesse.
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C. Le 14 septembre 2021, la Fédération A. (ci-après: la recourante) a formé un recours en matière civile, assorti d'une requête d'effet suspensif, aux fins d'obtenir l'annulation de la sentence incidente sur compétence du 18 janvier 2017 ainsi que de la sentence finale rendue le 23 juillet 2021. Elle a également demandé au Tribunal fédéral de constater l'incompétence du Tribunal arbitral.
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La requête d'effet suspensif a été rejetée par ordonnance du 1er novembre 2021.
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Le Tribunal fédéral a rejeté le recours dans la mesure de sa recevabilité.
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Extrait des considérants:
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6.4.1 Saisi du grief d'incompétence, le Tribunal fédéral examine librement les questions de droit, y compris les questions préalables, qui déterminent la compétence ou l'incompétence du tribunal arbitral (ATF 146 III 142 consid. 3.4.1; ATF 133 III 139 consid. 5; arrêt 4A_618/2019 ![]() ![]() | |
Le Tribunal fédéral ne revoit cependant l'état de fait à la base de la sentence attaquée - même s'il s'agit de la question de la compétence - que si l'un des griefs mentionnés à l'art. 190 al. 2 LDIP (RS 291) est soulevé à l'encontre dudit état de fait ou que des faits ou des moyens de preuve nouveaux (cf. art. 99 al. 1 LTF) sont exceptionnellement pris en considération dans le cadre de la procédure du recours en matière civile (ATF 144 III 559 consid. 4.1; ATF 142 III 220 consid. 3.1; ATF 140 III 477 consid. 3.1; ATF 138 III 29 consid. 2.2.1).
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L'art. 31 par. 1 CV fixe un ordre de prise en compte des éléments de l'interprétation, sans toutefois établir une hiérarchie juridique obligatoire entre eux. Le sens ordinaire du texte du traité constitue le point de départ de l'interprétation. Ce sens ordinaire des termes doit être dégagé de bonne foi, en tenant compte de leur contexte et à la lumière de l'objet et du but du traité. L'objet et le but du traité correspondent à ce que les parties voulaient atteindre par le traité. L'interprétation téléologique garantit, en lien avec l'interprétation selon la bonne foi, l'"effet utile" du traité. Lorsque plusieurs significations sont possibles, il faut choisir celle qui permet l'application effective de la clause dont on recherche le sens, en évitant d'aboutir à une interprétation en contradiction avec la lettre ou l'esprit des engagements pris. Un Etat contractant doit partant proscrire tout comportement et toute interprétation qui aboutiraient à éluder ses engagements internationaux ou à détourner le traité de son sens et de son but (ATF 144 II 130 consid. 8.2.1 et les références citées; arrêts 4A_80/2018, précité, consid. 3.1.2; 4A_65/2018, précité, consid. 2.4).
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6.4.3 En l'occurrence, la convention d'arbitrage résulte d'un mécanisme particulier puisque son point d'ancrage se situe directement dans un traité multilatéral signé par des Etats pour la protection des investissements, traité dont l'art. 26 prévoit le recours à l'arbitrage pour régler les différends relatifs aux prétendues violations de ses clauses matérielles (appelées aussi substantielles). La pratique arbitrale assimile pareille disposition à une offre de chacun des Etats contractants de résoudre par l'arbitrage les litiges qui pourraient ![]() ![]() | |
6.4.5 Un traité international ne déploie en principe pas d'effet juridique avant son entrée en vigueur (art. 24 CV). L'art. 25 par. 1 CV dispose toutefois qu'un traité ou une partie d'un traité peut s'appliquer à titre provisoire en attendant son entrée en vigueur si le traité lui-même en dispose ainsi ou si les Etats ayant participé à la négociation en étaient ainsi convenus d'une autre manière. L'application provisoire d'un traité vise, ainsi, à permettre à celui-ci de produire ![]() ![]() | |
6.4.6 Ces précisions faites, il convient de souligner que le TCE opère une nette distinction entre l'entrée en vigueur dudit traité et son application provisoire, laquelle est régie par l'art. 45 TCE. Avant de ![]() ![]() | |
1. Les signataires conviennent d'appliquer le présent traité à titre provisoire, en attendant son entrée en vigueur pour ces signataires conformément à l'art. 44, dans la mesure où cette application provisoire n'est pas incompatible avec leur Constitution ou leurs lois et règlements.
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2.
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a) Nonobstant le par. 1, tout signataire peut, lors de la signature, déposer auprès du dépositaire une déclaration selon laquelle il n'est pas en mesure d'accepter l'application provisoire. L'obligation énoncée au par. 1 ne s'applique pas au signataire qui a procédé à cette déclaration. Tout signataire de ce type peut à tout moment retirer cette déclaration par notification écrite au dépositaire.
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b) Ni un signataire qui procède à une déclaration telle que visée au point a) ni des investisseurs de ce signataire ne peuvent se prévaloir du bénéfice de l'application provisoire au titre du par. 1.
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c) Nonobstant le point a), tout signataire qui procède à une déclaration telle que visée à ce point applique à titre provisoire la partie VII, en attendant l'entrée en vigueur du présent traité pour ledit signataire conformément à l'art. 44, dans la mesure où cette application provisoire n'est pas incompatible avec ses lois et règlements.
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Il ressort de la formulation de l'art. 45 par. 1 et 2 TCE que l'Etat signataire s'engage à appliquer provisoirement les dispositions du TCE, dès la signature de celui-ci, dans les limites de la clause d'incompatibilité. Il s'agit d'un engagement contraignant, comme l'illustrent les termes utilisés à l'art. 45 par. 2 point a) TCE ("L'obligation énoncée au par. 1"). En d'autres termes, un signataire est en principe tenu, conformément à l'art. 45 TCE, d'appliquer immédiatement les dispositions du TCE, comme si celui-ci était déjà entré en force. Si le signataire s'abstient de formuler une déclaration visée par l'art. 45 par. 2 TCE, la seule limite à l'application provisoire des dispositions du traité réside dans la clause d'incompatibilité.
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Avant d'examiner plus attentivement le sens et la portée qu'il convient de donner à la clause d'incompatibilité, il y a lieu de se pencher sur la structure de l'art. 45 TCE, et, singulièrement, sur l'articulation de ses deux premiers paragraphes. L'art. 45 par. 2 de ladite disposition prévoit que tout signataire peut, lors de la signature, déposer auprès du dépositaire une déclaration selon laquelle il n'est pas en mesure d'accepter l'application provisoire du TCE. Comme le démontre le terme "Nonobstant" figurant en tête de l'art. 45 par. 2 point a) TCE, ![]() ![]() | |
D'une part, il est soutenable de retenir que les termes " cette application provisoire" font référence au principe même de l'application provisoire du TCE dans son ensemble. Le déterminant "cette" tendrait ainsi à démontrer qu'un Etat pourrait refuser d'appliquer provisoirement le TCE uniquement si le principe même d'une telle application provisoire est incompatible avec son droit interne. C'est ![]() ![]() | |
D'autre part, il est aussi envisageable d'interpréter la clause d'incompatibilité, en ce sens qu'un Etat signataire pourrait appliquer provisoirement certaines dispositions du TCE, mais non celles qui se révéleraient incompatibles avec son droit interne. Une telle interprétation trouve une assise dans les termes utilisés à l'art. 45 par. 1 TCE ("dans la mesure où"), lesquels expriment l'idée d'une gradation ou d'une variation au niveau de la portée de l'application provisoire. Une telle approche impliquerait dès lors d'examiner au cas par cas ("piecemeal approach") si l'application provisoire des différentes dispositions du TCE est ou non incompatible avec le droit interne de l'Etat concerné (cf. dans ce sens: SEBASTIAN PRITZKOW, Das völkerrechtliche Verhältnis zwischen der EU und Russland im Energiesektor, Eine Untersuchung unter Berücksichtigung der vorläufigen Anwendung des Energiecharta-Vertrages durch Russland, 2011, p. 64; ARSANJANI/REISMAN, op. cit., p. 92 s.; MERTSCH, op. cit., p. 102 et les références citées; GAZZINI, op. cit., p. 298 ss; ROE/HAPPOLD, Settlement of Investment Disputes under the Energy Charter Treaty, 2011, p. 73; ISHIKAWA, op. cit., p. 281).
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En l'occurrence, le Tribunal arbitral a considéré qu'il n'y avait pas lieu de trancher cette question, dans la mesure où l'application provisoire de l'art. 26 TCE n'était de toute manière pas incompatible avec le droit interne (...). Il y a lieu d'adopter une démarche similaire, puisque si le Tribunal fédéral aboutissait à la même conclusion que celle retenue par la formation arbitrale, la question litigieuse pourrait souffrir de demeurer indécise.
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6.4.8 A la lumière des règles d'interprétation prévues par l'art. 31 CV, la Cour de céans juge que l'interprétation faite par le Tribunal arbitral de la clause d'incompatibilité et, singulièrement, des termes "pas incompatible", résiste aux critiques dont elle est l'objet de la part de ![]() ![]() | |
Il résulte, par ailleurs, de la formulation de la clause d'incompatibilité, et singulièrement de l'usage des termes "pas incompatible", qu'il incombe à la partie qui allègue l'existence d'une incompatibilité entre l'application provisoire des dispositions du TCE et le droit interne de l'Etat concerné d'en faire la démonstration. Il découle de la structure de l'art. 45 TCE et d'une interprétation de bonne foi des termes qui y sont utilisés que l'application provisoire dudit traité est considérée comme étant la règle, la clause d'incompatibilité étant manifestement conçue comme une exception visant à fixer certaines limites au régime de l'application provisoire du traité en question, comme le souligne de façon convaincante l'intimée dans sa réponse, sans ![]() ![]() | |
L'intimée souligne du reste, à juste titre, que les termes "compatible" et "pas incompatible" ne sont pas interchangeables et qu'il n'est pas possible de substituer la première formulation à la seconde tournure, sans modifier la portée de l'art. 45 par. 1 TCE. Par conséquent, il incombe à la partie qui prétend que le droit interne de l'Etat concerné est incompatible avec l'application provisoire d'une disposition du TCE d'en faire la démonstration et de fournir tous les éléments permettant d'aboutir à pareille conclusion. La tentative de la recourante visant à démontrer le contraire ne saurait prospérer. Il ressort, en effet, de la sentence incidente que les parties étaient toutes deux d'avis que le fardeau de la preuve d'une incompatibilité avec le droit interne incombait à l'Etat défendeur (sentence incidente, p. 77 note infrapaginale 434: "It is common ground between the Parties that the burden of establishing inconsistency rests upon the Respondent"). Aussi, la recourante est-elle malvenue de venir soutenir pour la première fois, devant le Tribunal fédéral, qu'il appartiendrait à son adverse partie de faire la démonstration d'une telle incompatibilité, alors qu'elle a admis le contraire lors de la procédure arbitrale. En tout état de cause, on ne saurait suivre la thèse défendue par la recourante puisque cela reviendrait à exiger de l'intimée qu'elle fournisse une preuve négative, c'est-à-dire l'absence d'incompatibilité entre l'application provisoire des dispositions du TCE et les normes du droit interne (...). Enfin, l'argument de la recourante selon lequel les parties contractantes n'auraient pas fait usage d'une double négation à l'art. 45 par. 1 TCE, dans les six langues officielles dudit traité (cf. art. 50 TCE) - étant précisé que le texte d'un traité authentifié en plusieurs langues fait en principe foi dans chacune de ces langues (art. 33 par. 1 CV) -, ne lui est d'aucun secours, comme le démontre de façon pertinente l'intimée dans sa duplique.
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Au vu de ce qui précède, le recours aux moyens complémentaires d'interprétation selon l'art. 32 CV n'est pas nécessaire, dès lors que la seule application des principes d'interprétation posés à l'art. 31 CV ne conduit pas à un résultat qui est manifestement absurde ou ![]() ![]() ![]() |