21. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public dans la cause A. et B. contre Association C. et Ville de Genève Service de la petite enfance (recours en matière de droit public) | |
2C_849/2021 du 17 janvier 2023 | |
Regeste | |
Art. 9 BV; Art. 132 Abs. 2 und 3 des Genfer Gesetzes vom 26. September 2010 über die Gerichtsorganisation; Art. 6 des Genfer Gesetzes vom 12. Dezember 2019 über die vorschulische Betreuung; Art. 13 des Reglements der Stadt Genf über die vorschulische Betreuung; Rechtsnatur (öffentliches Recht oder Privatrecht) einer Vertragsbestimmung, die den Pensionspreis für die durch einen privaten Verein erbrachte Betreuung eines Kindes im Vorschulalter ausschliesslich durch Verweis auf eine kommunale Regelung festlegt.
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Sachverhalt | |
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B. et A., parents de D. née en 2017, ont signé en juin 2017 un contrat d'accueil avec l'Association pour la prise en charge de D. Par lettre circulaire distribuée en août et octobre 2019, l'Association a informé B. et A. qu'un changement de tarification entrerait en vigueur le 1er novembre 2019. Le prix de pension serait désormais calculé sur la base de l'avis de taxation de l'année précédente et serait plafonné à 20'000 fr. par an.
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B. Le 11 juillet 2020, B. et A. ont signé un nouveau contrat d'accueil avec l'Association valable dès le 1er novembre 2019. Le 22 décembre 2020, l'Association a adressé à B. et A. un avenant audit contrat faisant état d'un revenu déterminant de 336'286 fr., soit un montant supérieur au plafond fixé à 220'000 fr. Il en résultait un prix de pension mensuel de 1'454.60 fr. avec effet au 1er novembre 2019. Le 22 janvier 2021, suite à la production de documents complémentaires, l'Association leur a adressé un nouvel avenant retenant un revenu déterminant de 232'364 fr., le prix de pension restant donc inchangé à 1'454.60 fr. ![]() | |
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C. Agissant par la voie du recours en matière de droit public, B. et A. demandent au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt de la Cour de justice du 21 septembre 2021 et de lui renvoyer la cause pour qu'elle procède à un examen au fond et rende un nouveau jugement.
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Le Tribunal fédéral a admis le recours.
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(résumé)
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5.5.1 En principe, le Tribunal fédéral s'appuie sur plusieurs critères pour déterminer si une contestation relève du droit public ou du droit privé, à savoir sur le critère des intérêts, le critère dit fonctionnel, le critère du sujet ou de la subordination et le critère modal (ou ![]() ![]() | |
Toutefois, tant la jurisprudence que la doctrine s'accordent pour dire que, lorsqu'il s'agit de déterminer la nature juridique d'un contrat qu'aucune législation ne définit elle-même, le critère privilégié à prendre en compte est celui de son objet, considéré sous l'angle des intérêts en présence et de la fonction du contrat (cf. ATF 134 II 297 consid. 2.2; ATF 126 II 171 consid. 2b; ATF 105 Ia 392 consid. 3; ATF 103 Ia 31 consid. 2a; THIERRY TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2e éd. 2018, p. 343; PIERRE MOOR, Droit administratif, vol. II, 3e éd. 2011, p. 428; HÄFELIN/MÜLLER/UHLMANN, Allgemeines Verwaltungsrecht, 8e éd. 2020, n. 1294). En ce sens, le critère de la subordination ou du sujet n'est pas déterminant, car tant la jurisprudence fédérale que la doctrine ont admis que deux entités de droit public peuvent conclure un contrat de droit privé, de même que deux sujets de droit privé peuvent passer un contrat de droit administratif (cf. ATF 103 Ib 335 consid. 3; ATF 99 Ib 115 consid. 2; HÄFELIN/MÜLLER/UHLMANN, op. cit., n. 1340; TANQUEREL, op. cit., p. 349 et 343; MOOR, op. cit., p. 433; TSCHANNEN/ MÜLLER/KERN, Allgemeines Verwaltungsrecht, 5e éd. 2022, n. 978).
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Selon le critère des intérêts, un contrat est de droit administratif lorsqu'il sauvegarde exclusivement ou principalement l'intérêt public (cf. ATF 138 II 134 consid. 4.1; arrêt 2C_727/2018 du 5 juin 2019 consid. 1.3). Quant au critère fonctionnel, il prévoit qu'un contrat appartient au droit administratif lorsqu'il tend directement à l'accomplissement de tâches publiques, à moins que la législation topique ne soumette cette activité au droit privé (cf. ATF 138 II 134 consid. 4.3.1 et références; arrêt 2C_727/2018 du 5 juin 2019 consid. 4.1). Les tâches publiques sont déterminées par la Constitution et les lois et procèdent d'un choix politique. Le cas échéant, il appartient au législateur de déterminer si la tâche publique incombe aux organes étatiques ou si elle est déléguée à des personnes ou entités privées. En d'autres termes, c'est l'interprétation des normes légales ou constitutionnelles qui détermine ce qui est une tâche publique, qui assume cette tâche et comment celle-ci doit être menée à bien (cf. ATF 138 II 134 consid. 4.3.1; arrêt 2C_727/2018 du 5 juin 2019 consid. 1.4).
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L'application du critère des intérêts et du critère fonctionnel à l' objet du contrat s'effectue en examinant les prestations contractuelles qui ![]() ![]() | |
I. De l'accueil des enfants en âge préscolaire
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5.5.5 Dans le canton de Genève, l'accueil des enfants en âge préscolaire est régi par les art. 200 à 203 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst./GE; RS 131. 234), qui figurent au titre VI, chapitre 3 de ladite Constitution, intitulé "Tâches publiques". Ces dispositions prévoient que l'offre de places d'accueil de jour pour les enfants en âge préscolaire est ![]() ![]() | |
Ces dispositions constitutionnelles, en vigueur depuis le 1er juin 2013, ont fait suite à une initiative populaire cantonale (IN 143 "Pour une véritable politique d'accueil de la Petite enfance") qui visait à inscrire dans la constitution genevoise un nouvel article 160G relatif à l'accueil préscolaire. En substance, l'initiative prévoyait que chaque enfant en âge préscolaire devait avoir un droit à une place d'accueil de jour et que le canton et les communes étaient tenus de réaliser ce droit en créant et maintenant des places d'accueil, les communes pouvant toutefois déléguer cette tâche aux associations ou fondations autorisées à exercer cette activité. Cette initiative a cependant été rejetée en votation populaire le 17 juin 2012 au profit d'un contreprojet, dont la teneur est désormais consacrée aux actuels art. 200 à 203 Cst./GE. Selon le rapport de la Commission en charge de rédiger le contreprojet, ce dernier renonçait à créer un large droit constitutionnel à une place d'accueil - contrairement au souhait des initiants - au profit d'une formulation plus atténuée, qui adapte l'offre d'accueil aux besoins (cf. Rapport du 24 novembre 2011 de la Commission chargée de l'élaboration du contreprojet à l'IN 143, IN 143-D PL 10895, p. 4). Eu égard à la mise en oeuvre de ces nouvelles dispositions, ledit rapport précise qu'il "apparaît préférable que la délégation de toute tâche, en rapport avec le présent contreprojet, ne soit ni expressément exclue, ni expressément prévue. Il n'appartient pas à une loi de rang constitutionnel de verrouiller la manière dont la loi d'application doit être rédigée" (Rapport du 24 novembre 2011, op. cit., p. 9-10).
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Les art. 200 à 203 Cst./GE énoncent donc un cadre général qui est précisé par la loi du 12 décembre 2019 sur l'accueil préscolaire ![]() ![]() | |
Dans ce contexte, la Ville de Genève s'est dotée d'un Règlement du 20 avril 2016 relatif à l'accueil préscolaire en Ville de Genève et aux conditions d'octroi des subventions aux structures d'accueil (Règlement communal pour l'accueil préscolaire; rs/GE LC 21 551), dont l'art. 1 al. 1 prévoit que, conformément à ses missions et obligations découlant de la Constitution et de la législation cantonales, la Ville de Genève dirige la politique de la petite enfance, planifie, organise et assure le maintien et le développement de l'offre de places d'accueil sur son territoire. A cette fin, elle subventionne les structures d'accueil de la petite enfance sises sur son territoire, aux conditions et dans la mesure définies par le présent règlement (art. 1 al. 2 let. a). La Ville de Genève définit également les priorités en matière d'accueil, les conditions de tarification et les termes de la collaboration avec les autres acteurs publics ou privés actifs dans le domaine de la petite enfance (art. 2). L'art. 13 al. 1 dudit Règlement prévoit que les structures d'accueil appliquent les barèmes des prix de pension fixés par le Conseil administratif et qu'elles ne peuvent y déroger qu'en cas de situation exceptionnelle, moyennant l'accord préalable de leur comité ou conseil de fondation et du Service de la petite enfance. L'art. 14 du Règlement, relatif aux "Conditions de subventionnement", précise en outre que les structures d'accueil peuvent être organisées sous la forme de personnes morales de droit privé ou de droit public (al. 1); mais que leurs statuts ou acte constitutif et règlement doivent avoir été approuvés par le Service de la petite enfance (al. 2).
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5.5.6 D'un point de vue historique, il sied encore d'indiquer qu'à l'origine, les structures d'accueil préscolaire en Ville de Genève étaient entièrement privées et n'étaient soutenues ni par la commune, ni par le canton. Progressivement, la Ville de Genève a introduit un mode de subventionnement assorti d'un contrôle de la gestion administrative des structures d'accueil (cf. Rapport du 12 juin 2007 de la Commission chargée d'examiner la proposition en vue de l'extension du ![]() ![]() | |
Certes, au terme d'une interprétation littérale de l'art. 6 al. 1 LAPr, soutenue par les recourants, les communes auraient la tâche publique d'offrir directement des places d'accueil préscolaire, tâche qui pourrait être confiée, le cas échéant, à une association de droit privé ou une fondation. En ce sens, l'exploitation des places d'accueil, qui ![]() ![]() | |
Néanmoins, une interprétation téléologique, historique et systématique de cette disposition, à la lumière des art. 200 et 201 al. 1 Cst./GE, impose de nuancer ce constat. En effet, le but poursuivi par le législateur cantonal au travers de l'art. 6 al. 1 LAPr est clair: mettre en place un dispositif permettant d'adapter l'offre de places d'accueil aux besoins et formaliser dans la loi la collaboration préexistante entre les communes et les structures d'accueil subventionnées. Les travaux préparatoires ne font toutefois pas état d'une volonté du législateur de modifier le mode de gouvernance de la petite enfance prévalant jusqu'alors en Ville de Genève, en faisant de l'accueil proprement dit des enfants en âge préscolaire une tâche publique à la charge des communes, et le rejet de l'initiative populaire cantonale poursuivant cet objectif démontre du reste le contraire.
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A cet égard, le fait que la Ville de Genève participe au financement de l'exploitation des structures d'accueil privées par le biais du subventionnement (art. 8 al. 1 LAPr) ne saurait suffire à faire d'une telle exploitation une tâche publique déléguée auxdites structures. En effet, les subventions sont un instrument important permettant la réalisation d'objectifs politiques communaux et cantonaux sans que l'Etat ne doive agir directement (cf. Rapport 2008 du Conseil fédéral sur les subventions du 30 mai 2008, FF 2008 5651, 5661). Dans ce contexte, le fait que la Ville de Genève puisse exercer une certaine surveillance sur l'Association - en disposant d'une voie consultative lors de l'assemblée générale (art. 15 al. 4 du Règlement pour l'accueil préscolaire), en approuvant ses statuts (art. 14 al. 2 du Règlement pour l'accueil préscolaire) ou encore en fixant les barèmes servant de base pour la fixation du prix des pensions des parents (art. 13 al. 1 du Règlement pour l'accueil préscolaire) - est essentiellement la contrepartie de son obligation de financer l'exploitation des structures d'accueil préscolaire qu'elle subventionne, dans la mesure où les frais ne sont pas couverts par les autres sources de financement (art. 202 Cst./GE; art. 8 al. 2 LAPr; cf. également arrêt 8C_559/2021 du 20 janvier 2022 consid. 8.2.2). Contrairement à ce que semblent penser ![]() ![]() | |
II. Du paiement du prix de pension
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5.5.10 A teneur de la clause 2.4. de l'avenant litigieux, les recourants s'engagent, conformément à l'art. 3 des conditions générales du contrat d'accueil, à payer une pension déterminée sur la base des barèmes fixés par le Conseil administratif de la Ville de Genève et ![]() ![]() | |
5.6 Dans la mesure où les recourants s'en prennent uniquement au barème qui leur est appliqué pour déterminer le prix de pension, et non aux clauses de l'avenant relatives aux périodes d'accueil ou aux jours de présence de l'enfant, leur contestation relève du droit public. En effet, l'adoption du barème litigieux fixant le prix de pension à payer par les recourants est de la compétence exclusive du Conseil administratif de la Ville de Genève, conformément à l'art. 13 al. 1 du Règlement communal pour l'accueil préscolaire, de sorte que ledit barème constitue une clause relevant du droit public au sens de l'art. 132 al. 3 LOJ/GE. Par conséquent, la motivation de l'instance précédente selon laquelle l'action contractuelle des recourants est irrecevable au motif que la contestation - pourtant limitée au mode de fixation du prix de pension - relève du droit privé, procède d'une interprétation arbitraire du droit cantonal. Cette interprétation a pour conséquence de priver les recourants de la voie de droit ordinaire pour faire contrôler la conformité au droit de la fixation du prix de pension sur la base d'un barème étatique. Il en découle que la Cour de justice a violé l'art. 9 Cst. en refusant d'entrer en matière sur le recours au motif que la clause de l'avenant litigieux fixant le prix des pensions dû par les recourants relevait du droit privé. ![]() |