24. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public dans la cause Les Editions Flammarion SA contre Commission de la concurrence COMCO (recours en matière de droit public) | |
2C_44/2020 du 3 mars 2022 | |
Regeste | |
Art. 2 Abs. 1, Art. 4 Abs. 1 und Art. 5 Abs. 4 KG; Wettbewerbsabrede; Konzernprivileg; Handelsvertretervertrag und Handelsvertreterprivileg; Aleinvertriebsvertrag; Zurechnung von Verhaltensweisen im Konzern; doppelter Vertrieb.
| |
Zurechnung wettbewerbswidriger Verhaltensweisen im Rahmen eines Konzerns und Möglichkeit, solche der Muttergesellschaft der Tochtergesellschaft zuzurechnen (E. 8).
| |
Notwendigkeit, im Lichte von Art. 5 Abs. 4 KG den Vertriebsvertrag, mit welchem eine blosse Herstellerin auf den Direktverkauf ihrer Produkte in der Schweiz verzichtet, vom Vertriebsvertrag, mit welchem eine ausländische Vertriebsgruppe ein anderes Unternehmen mit der exklusiven Kommerzialisierung ihrer Produkte auf diesem Markt beauftragt, zu unterscheiden (E. 9).
| |
Sachverhalt | |
![]() | |
Le groupe Flammarion se charge de diffuser et de distribuer lui-même les ouvrages édités par ses propres filiales. Il se voit également ![]() ![]() | |
La société suisse Editions Flammarion SA a pour sa part comme mission spécifique de diffuser sur le territoire suisse les livres en français édités, d'une part, par son groupe et, d'autre part, par d'autres éditeurs indépendants ayant confié une telle tâche à celui-ci. Cela étant, se limitant dans les faits à une activité de diffusion, elle sous-traite la distribution de l'ensemble de ces ouvrages à une autre société suisse, à savoir A. Les deux sociétés ont conclu à cette fin trois contrats entre 2000 et 2010, contenant tous la clause suivante:
| |
" [Les Editions Flammarion SA confie à A., dans le respect des lois en vigueur, la distribution exclusive des produits définis à l'article 2 auprès de l'intégralité des revendeurs de livres.
| |
Ce contrat ne concerne pas, sauf en cas de demande faite et notifiée par [Les Editions Flammarion SA] à A. qui ne pourra pas refuser:
| |
- la vente par courtage et/ou par correspondance,
| |
- les ventes par clubs, couponing,
| |
- les clients suisses achetant des éditions qui leur sont spécialement destinées.
| |
[Les Editions Flammarion SA] s'engage à ne pas ouvrir de comptes directs à Paris pour des clients suisses, sans accord préalable [d']A., sauf pour des titres soldés. (...) "
| |
B. Du 12 juillet 2007 au 13 mars 2008, le secrétariat de la Commission de la concurrence (ci-après: la COMCO) a mené une enquête préalable sur le marché du livre écrit en français. Les informations obtenues auprès des diffuseurs-distributeurs et des revendeurs actifs en Suisse ont fait apparaître que les premiers occupaient une position forte sur le marché en cause et que le niveau des prix y était élevé.
| |
En date du 27 mai 2013, la COMCO a rendu une décision à l'encontre de la société Les Editions Flammarion SA et de neuf autres diffuseurs-distributeurs de livres. Elle a condamné en particulier la société précitée au paiement d'une sanction de 1'225'794 fr. en application de l'art. 49a al. 1 LCart (RS 251) en raison de sa ![]() ![]() | |
Le 11 juillet 2013, Les Editions Flammarion SA a interjeté recours auprès du Tribunal administratif fédéral contre la décision précitée de la COMCO. Par arrêt du 30 octobre 2019, le Tribunal administratif fédéral a admis partiellement le recours, en ce sens qu'il a réduit à 919'346 fr. la sanction prononcée à l'encontre de la société Les Editions Flammarion SA. Il a confirmé la décision attaquée pour le surplus.
| |
C. Le 4 janvier 2020, Les Editions Flammarion SA (ci-après: la recourante) a déposé un recours en matière de droit public contre l'arrêt précité auprès du Tribunal fédéral. Celui-ci l'a rejeté.
| |
(résumé)
| |
III. Existence d'accords en matière de concurrence au sens des art. 2 al. 1 et 4 al. 1 LCart
| |
6.1 La recourante reproche au Tribunal administratif fédéral d'avoir violé les art. 2 al. 1 et 4 al. 1 LCart en retenant l'existence d'un accord en matière de concurrence (et l'applicabilité de la LCart). Elle soutient que la relation qu'elle entretient avec A. ne relèverait pas d'une relation de distribution, mais d'une relation d'agence, laquelle ne constituerait pas un accord en matière de concurrence au sens des dispositions précitées. Elle reproche par ailleurs à l'autorité précédente d'avoir établi les faits de manière manifestement incomplète en lien avec cette question, ce en violation du principe de ![]() ![]() | |
6.3 Suivant une logique similaire à celle qui est à la base du "privilège de groupe", les autorités européennes considèrent que certains accords de distribution spécifiques, qu'elles qualifient de "contrats d'agence", échappent également au droit de la concurrence, à tout le moins en partie (cf. Communications de la Commission européenne ![]() ![]() | |
6.4 D'après la pratique européenne, en cas de relation de "contrats d'agence" au sens qui précède, les obligations imposées par le commettant à l'intermédiaire en lien avec la vente à des tiers (p. ex. des limitations quant au territoire, à la clientèle ou au prix ou conditions auxquels l'agent peut vendre les biens ou services concernés) échappent aux règles en matière de concurrence (cf. Lignes directrices UE, n° 18). En revanche, comme l'agent demeure une entreprise distincte du commettant, les éventuelles autres dispositions contractuelles aménageant la relation entre les deux entreprises n'échappent pas au droit de la concurrence. Cela signifie concrètement que le fait de qualifier une relation commerciale de "contrat d'agence" ne constitue jamais un blanc-seing complet du point de vue du droit européen de la concurrence. Les clauses d'un contrat d'agence qui, ![]() ![]() | |
6.6 La Cour de céans relève que la relation commerciale entretenue par la recourante et A. présente certaines caractéristiques propres à un rapport de "contrat d'agence", du moins au sens du droit européen de la concurrence. Il ressort notamment de l'arrêt attaqué qu'A. ne devient jamais propriétaire des livres diffusés par Flammarion avant de les revendre aux librairies et autres détaillants helvétiques et qu'elle est rémunérée pour chaque flux "aller" et "retour" desdits ![]() ![]() | |
6.7 Il convient de garder à l'esprit que le présent litige concerne la légalité de clauses d'exclusivité territoriale contenues dans différents contrats de distribution conclus entre la recourante et A. Par ces contrats, la première a confié à la seconde la "distribution exclusive" des livres édités et/ou diffusés par le groupe Flammarion auprès des revendeurs de livres helvétiques, tout en s'engageant "à ne pas ouvrir de comptes directs à Paris pour des clients suisses". Il est reproché à la recourante d'avoir cloisonné de cette manière le marché suisse - en violation des art. 5 al. 1 et 4 LCart - en conférant une protection territoriale absolue à A. en ce qui concerne la distribution wholesale d'ouvrages en français, c'est-à-dire en garantissant à cette société l'absence de toute concurrence provenant non seulement de Suisse, mais aussi de l'étranger en lien avec la distribution en gros de livres éditées et/ou diffusés par le groupe Flammarion. Or, ce régime d'exclusivité - indépendamment de la question de savoir s'il vise véritablement à assurer une protection territoriale absolue en faveur d'A. - ne peut en aucun cas bénéficier du "privilège de l'agent". Comme on l'a vu, la reconnaissance d'un tel privilège inspiré du droit européen ne représenterait pas un blanc-seing dupoint de vue de la LCart. Il ne s'appliquerait qu'aux obligations que la recourante aurait pu imposer à A. en lien avec les contrats conclus pour son compte. Les engagements que les parties ont pris l'une envers l'autre, afin de régler leurs rapports réciproques, resteraient en tout état de cause soumis à la LCart (cf. supra consid. 6.4; aussi REINERT, op. cit., nos 391 ss ad art. 4 al. 1 LCart). Tel serait précisément le cas des clauses d'exclusivité territoriale contenues dans les différents contrats de distribution successifs conclus entre la recourante et A. Elles n'imposent aucune obligation à A. concernant ses rapports avec les revendeurs de livres helvétiques, mais organisent la relation commerciale des deux sociétés, en restreignant les conditions auxquelles le groupe Flammarion peut vendre les ouvrages qu'il ![]() ![]() | |
(...)
| |
V. Imputabilité des comportements au sein d'un groupe commercia l et présomption de suppression de la concurrence efficace au sens de l'art. 5 al. 4 LCart
| |
8. La recourante affirme que l'engagement qu'elle a pris envers A. de "ne pas ouvrir de comptes directs à Paris pour des clients suisses, sans accord préalable de [celle-ci]" n'est en aucun cas apte à exclure toute vente passive en Suisse des ouvrages diffusés par le groupe Flammarion. Elle affirme n'avoir aucun pouvoir sur le comportement des autres distributeurs ou grossistes actifs à l'étranger. Selon elle, seuls les fournisseurs des ouvrages à distribuer, soit sa société-mère ou les éditeurs externes au groupe, pourraient imposer une interdiction de ventes passives aux distributeurs à l'étranger, de sorte qu'il serait incompréhensible de lui imputer un tel comportement. ![]() ![]() | |
8.2 En droit européen, il est également acquis qu'une entité juridique peut être tenue responsable du comportement anticoncurrentiel d'une autre entité juridique, lorsque toutes deux font partie de la même unité économique et forment ainsi une seule et même entreprise (voir notamment arrêt de la CJUE C-882/2019 du 21 octobre 2021, Sumal S.L. contre Mercedes Benz Trucks España S.L., § 41 ss, et les références citées). Dans un tel cas, les autorités européennes de la ![]() ![]() | |
8.4 A partir de là, du point de vue du droit de la concurrence, l'autorité précédente pouvait parfaitement imputer à la recourante le comportement de la société Flammarion FR en lien avec la distribution en Suisse des livres diffusés par le groupe et vice versa. Elle pouvait également partir du principe que les engagements pris par la recourante en relation avec le marché suisse avaient été mis en oeuvre et respectés - et même voulus - par l'ensemble du groupe Flammarion durant la période sous enquête. L'intéressée ne prétend d'ailleurs pas avoir agi contre l'avis de sa société mère en promettant à A. de "ne pas ouvrir de comptes directs à Paris pour des clients suisses", ce qu'elle n'aurait du reste pas pu faire seule, dès lors qu'un tel ![]() ![]() | |
VI. Obligation imposée au "fournisseur" et présomption de suppress ion de la concurrence efficace au sens de l'art. 5 al. 4 LCart
| |
9.1 Selon l'art. 5 al. 4 LCart, les accords verticaux attribuant des territoires sont présumés entraîner la suppression de toute concurrence efficace lorsque les ventes aussi bien actives que passives (cf. consid. 7.3 non publié) par d'"autres fournisseurs agréés" sur ce territoire sont exclues. La version française de la disposition diverge quelque peu de celles allemande et italienne qui évoquent, pour leur part, une interdiction de vente par des "gebietsfremde Vertriebspartner" ou des "distributori esterni" (distributeurs externes). Il en ressort que la présomption de suppression de la concurrence de l'art. 5 al. 4 LCart implique que des entreprises actives dans la distribution d'un produit donné se voient interdire de procéder à tout type de ventes de ce produit à destination d'un territoire de distribution attribué à une autre entreprise (cf. ATF 143 II 297 consid. 6.3.3). Ainsi, l'accord par lequel une entreprise uniquement productrice se contenterait de renoncer à la vente directe de ses produits en Suisse, après en avoir externalisé la distribution à une autre entreprise, ne tombe pas en tant que tel sous le coup de l'art. 5 al. 4 LCart et n'est pas sanctionnable au sens de l'art. 49a al. 1 LCart. Il en va de même de l'accord ![]() ![]() | |
9.2 Dans l'arrêt attaqué, partant du principe exposé ci-devant selon lequel l'engagement d'un producteur de ne pas concurrencer ses distributeurs n'est pas concerné par l'art. 5 al. 4 LCart, le Tribunal administratif fédéral s'est attaché à définir le rôle joué par la recourante sur le marché suisse du livre en Suisse et, plus spécifiquement, vis-à-vis d'A. Il a en l'occurrence retenu que l'édition de livres correspondait de manière générale à une activité de production, tandis que l'activité de diffusion et de distribution de livres s'assimilait à un travail de commercialisation, respectivement de distribution des produits concernés. Il a ensuite constaté que le groupe Flammarion, dont faisait partie la recourante, se chargeait en principe lui-même de la diffusion et de la distribution des livres qu'il éditait - c'est-à-dire qu'il produisait lui-même - sans passer encore en aval par des sociétés de distribution ou des grossistes indépendants, sauf en Suisse par l'intermédiaire d'A. Cela étant, le groupe acceptait de mettre son système de distribution à disposition d'autres éditeurs et, partant, de diffuser et de distribuer des ouvrages édités par des entreprises indépendantes. Le Tribunal administratif fédéral en a déduit que le groupe Flammarion agissait à deux titres distincts sur le marché du livre et vis-à-vis d'A.: tantôt comme "producteur" en ce qui concernait la distribution des ouvrages édités par le groupe, tantôt comme "fournisseur" ou distributeur s'agissant des ouvrages édités par des ![]() ![]() | |
9.4 Ainsi qu'on l'a vu, l'engagement d'un producteur de ne pas concurrencer ses distributeurs et, partant, de ne pas vendre directement ses produits sur les territoires qu'il leur a attribués ne tombe pas sous le coup de la présomption de suppression de la concurrence efficace posée par à l'art. 5 al. 4 LCart. Une telle présomption suppose généralement des restrictions de vente à l'égard d'entreprises jouant le rôle de "distributeurs" sur le marché considéré (cf. supra consid. 9.1). Or tel est manifestement le cas en l'espèce. Il est incontesté que, durant la période sous enquête, la recourante et, plus généralement, le groupe Flammarion ne produisaient pas la totalité des livres dont ils assuraient la diffusion dans le monde et dont la distribution exclusive en Suisse avait été sous-déléguée à A. L'engagement pris par la recourante de ne pas livrer directement les revendeurs de livres suisses depuis la France n'équivaut ainsi pas pleinement à un engagement ![]() ![]() | |
9.6 Notons que le droit européen de la concurrence distingue lui aussi les entreprises "productrices" des simples "fournisseurs" non producteurs dans le cadre d'accords verticaux de distribution. ll différencie pour l'heure toujours les accords verticaux conclus entre un producteur et un distributeur de ceux qui pourraient être conclus entre deux distributeurs (potentiellement) concurrents: si les premiers peuvent échapper aux règles en matière de concurrence dans certaines circonstances, tel n'est pas le cas des seconds (cf. art. 2 par. 4 du Règlement n° 330/2010 de la Commission européen du 20 avril 2010 concernant l'application de l'art. 101, par. 3, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées [Journal officiel de l'Union européenneL 102/1]; Lignes directrices UE, nos 27 s.; aussi REINHARD ELLGER, in ![]() ![]() | |
9.7 Il s'ensuit que le Tribunal administratif fédéral n'a pas violé le droit fédéral en retenant que la clause d'exclusivité territoriale contenue dans les différents accords de distribution successifs convenus entre la recourante et A. était susceptible d'être couverte par l'art. 5 al. 4 LCart. (...) ![]() |